Moins de 60 minutes pour tout comprendre sur les modes de tracking sur internet . Cette web série d’Arte aborde le sujet de la collecte des données sur la toile : sites web, réseaux sociaux, Smartphones, big data, objets connectés..Son format de 7 épisodes de 5 à 10 minutes chacun, originellement diffusés entre le 14 avril et le 15 juin 2015 est depuis en accès libre sur Arte. L’originalité du concept de cette série repose sur son interactivité, où le « spectateur » est acteur principal. Les mêmes modes de suivi de l’internaute qu’elle décrit pendant ces sept rendez-vous (pose de cookies, personnalisation de la présentation) sont utilisés pour apporter une illustration concrète du propos. Retour sur ce programme insolite…
Origine de la cette série intéractive
A l’origine de ce web documentaire, le réalisateur Brett Gaylor, réalisateur canadien, spécialisé sur la thématique des médias contemporains. Ce projet se concrétise lors d’un hackathon à New York en mai 2013 où la chaine Arte prendra rapidement part à l’aventure. Pas moins d’une centaine de personnes , plus de 2 ans de travail de préparation, et au final le choix de 7 thématiques par les 4 équipes de production (Arte, Onf, Upian et BR) entourés d’ experts professionnels du web, universitaires, militants, chercheurs en sciences sociales, journalistes dont :
Julia Angwin (ProPublica) danah boyd (Data & Society Research Institute) Kate Crawford (Microsoft Research) Cory Doctorow (Creative Commons) Nathan Freitas (the Guardian Project) Rand Hindi (CEO of Snips) Harlo Holmes (the Guardian Project) Michal Kosinkski (Stanford School of Business) Gilad Lotan (Betaworks) Constanze Kurz (Chaos Computer Club) Adam Tanner (Harvard University’s Institute for Quantitative Social Science) Sara Watson (Harvard University) Ethan Zuckermann (MIT Media Lab)
Le paradoxe volontaire de cette web série
L’internaute qui choisit de regarder ce programme va être traqué lui aussi tout au long de sa lecture ! Le déroulé de l’émission va être parsemé d’interactions qui vont permettre une certaine “empathie” entre le contenu et le lecteur cookies, tracking email) . Par la force de la preuve (le profilage est restitué au fur et à mesure du visionnage sur l’écran du web spectateur) , le message de cette web série devient encore plus crédible ! Un exemple lors l’accès demandé par l’application illuminus sur mon compte facebook…
Des emails, propositions d’articles par thématiques, débats (pendant la série) poussent et rendent la personnalisation et l’expérience sur la lecture des contenus plus pertinente. Nous approchons le concept d’une narration transmédia.
Qu’apprend-on alors dans ce documentaire ?
Un peu de techno mais pas trop
Ce n’est pas une émission pour les Geek ou les développeurs web en herbe, on y apprend à grand traits comment sont collectées techniquement les données personnelles mais sans plus, l’intérêt n’est pas là, les enjeux sont concentrés plutôt sur les usages qui en sont fait par les parties prenantes (firmes technologiques de l’ère numérique).
Pourquoi le web nous traque-t-il de la sorte ?
Historiquement, nous payons le fait de n’avoir pas voulu payer pour accéder aux contenus sur l’internet dès son début dans les années 90. Depuis, le web s’est trouvé un modèle publicitaire, le seul encore viable, pour joindre annonceurs et éditeurs de contenus et monétisation de l’audience.
La personnalisation à tout prix !
Véritable 4eme pouvoir, les médias et la presse en ligne liés aux plateformes sociales diffusent grâce à l’hyper-personnalisation une information centrée sur les centres d’intérêts de chacun. L’accès à l’information pertinente et objective n’a pas de raison d’être, les objectifs sont orientés sur la captation la plus longue de l’internaute afin de lui pousser des publicités susceptibles de lui plaire. Selon les centres d’intérêts des utilisateurs, l’actualité n’est pas orientée de la même manière. Deux exemples illustrent le propos : le conflit israélien ,avec une polarisation de l’information sur 2 ensembles (Notons récemment une collusion de plus en plus marquée entre Fbook et certains grands éditeurs de presse) et une campagne politique américaine. Rien ne change finalement par rapport à la presse traditionnelle, sauf que la nouveauté ici, c’est que le lecteur ne le sait pas !
Les profils à l’épicentre des choix algorithmiques
Il ne faudra que 250 likes pour tirer la personnalité d’un profil social. Les filtres des algos servent à mesurer peuvent servir à mesure le risque financier encouru par les assurances et les banques. L’analyse d’images peut aussi influencer le choix d’une protection sociale (cas d’une salariée IBM en congés maladie pour dépression, « dénoncée » par une attitude considérée comme « non pathologique » à la vue de ses photos Facebook).
Un Smartphone qui vous veut du bien…
Cet épisode aborde le délicat dilemme du téléphone mobile. Doit-on le bannir de nos usages ? Bien difficile aujourd’hui de s’en passer. Le croisement des données collectées par les applications (26 en moyenne par individus en France) à l’insu de leur propriétaire bien souvent devient un atout pour surveiller une population (en Ukraine, les participants à une manifestation se sont vus recevoir un message sur leur agissement).
Big data, il ne manquait plus que cela
50 millions de photos, 40 millions de tweets et des milliards de documents échangés chaque jour. Au-delà des simples modes de tracking de nos ordinateurs, ce sont aussi désormais les objets, dotés de capteurs qui collectent aussi une nouvelle data et produisent une grande quantité de données (90% de la data aurait été produite ces 2 dernières années !). Le défi, trouver de la cohérence dans ce chaos d’informations, pétrole pour les organisations qui peuvent la traiter par des techniques numériques rompus à la manipulation des grands nombres.
Alors, pour vivre heureux, vivons cachés ?
Avons-nous le choix réellement de la déconnection ? C’est ce que propose ce dernier chapitre. Que veut dire aujourd’hui vie privée ? La multitude Oscar Mongenstern ferme le bal en 1972 en donnant un avantage et un inconvénient de l’informatique: son pouvoir d’allonger la vie d’un côté, et de l’autre, son intrusion dans nos vies privées. Que sont devenues nos utopies où un monde hyper connecté pourrait résoudre tous les problèmes sur terre souligne Dhana Boyd ?
Un succès d’audience pour “DoNotTrack”
Je cite : « La série documentaire interactive Do Not Track, lancée le 14 avril dernier (7 épisodes dont le dernier a été mis en ligne hier ) a déjà réalisé un succès d’audience avec 3,5 millions de pages vues et 700 000 visites dont 137 000 en France, 255 000 en Allemagne, 145 000 aux États-Unis et Canada, 125 000 à l’international. ». Elle a été récompensée par 2 prix .
Au final, cette web série interactive au désign décalé, très « giffée » 😉 apporte un regard global historique sur notre société. Sans catastrophisme, sans donner des leçons, elle constate et nous mets en alerte sur l’importance que prend la data dans nos vies, quotidiennement. A nous, producteurs et acteurs modernes du numérique, d’en être conscient , la liberté des individus peut en dépendre.
Lien de l’émission : https://donottrack-doc.com/fr/episodes/